La loi immigration : un point de bascule pour le gouvernement

Publié le 1 février 2024


La loi immigration a été promulguée le 27 janvier 2024 après de nombreux rebondissements, pour être finalement largement censurée par le Conseil Constitutionnel. Dans cet article nous verrons comment le gouvernement a tenté d’élargir sa majorité aux Républicains, en intégrant dans le texte leur vision de l’immigration proche de celle du Rassemblement National. Cela aura-t-il pour effet de faire progresser le RN dans l’opinion publique ?


Rappel des faits



1er février 2023 

Présentation en conseil des Ministres du « Projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration ». Enregistrement du projet de loi au Sénat. Le Gouvernement engage la procédure accélérée (une seule lecture par chambre du Parlement).



25 mars 2023

Après avoir examiné les 243 «amendements de commission», la commission des lois du Sénat, livre une version durcie du texte par les sénateurs de droite.



Du 6 au 14 novembre

Après un report du projet de loi par E. MACRON, le texte (durci par la commission des lois) revient au sénat pour être examiné. 679 «amendements de séance» sont déposés dont bon nombre par les sénateurs de gauche tentant en vain d’équilibrer le texte. Sous la pression des sénateurs LR, le texte sera encore durci par le sénat (création des quotas, suppression de l’Aide Médicale d’État – AME, durcissement du regroupement familial, précarisation des étudiants étrangers, augmentation à 5 ans de résidence pour l’ouverture des droits sociaux…). Ces ajouts, sans lien direct avec le texte initial, risquent d’être juridiquement qualifiés de « cavaliers législatifs ».




Du 27 novembre au 2 décembre

Étude du projet de loi, amendé par le sénat, par la commission des lois de l’Assemblée Nationale. Celle-ci rétablit l’AME mais entérine en grande partie le texte du Sénat.

Avis très critique de la défenseur des Droits et de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme qui appellent les députés à ne pas voter le texte.


11 décembre 2023

Séance de l’Assemblée Nationale consacrée au projet de loi. Adoption, par 5 voix d’avance, de la « Motion de rejet préalable » présenter par le Groupe écologiste. Le texte est donc rejeté sans débat.



18-19 décembre 2023

Après la « motion de rejet », le gouvernement à la possibilité de retirer ce texte qui n’est plus le sien mais celui durci par les sénateurs LR. Il préfère le passer en Commission Mixte Paritaire, composée de 7 députés et 7 sénateurs (4 Renaissance/EM, 2 contristes, 4 LR, 1 RN, 2 PS, 1 LFI). La majorité se plie aux volontés LR et conserve même tout ce qui relève de «le préférence nationale».



19 décembre 2023

– La majorité de droite au Sénat adopte le texte

– L’Assemblée Nationale adopte le texte avec les voix du LR, du RN et de la majorité présidentielle

– Aurélien ROUSSEAU, Ministre (Renaissance) de la santé démissionne.



Fin décembre

Le Président de la République, la Présidente de l’Assemblée Nationale et plus de 60 députés saisissent le Conseil Constitutionnel.



25 janvier 2024

Le Conseil Constitutionnel censure largement le texte. La plupart des articles censurés sont considérés comme des « cavaliers législatifs », sans lien avec le texte initial. On y trouve notamment : les quotas migratoires négociés via un débat annuel devant le parlement, la suppression de l’AME, le conditionnement de certaines aides sociales à cinq ans de séjour régulier, l’exclusion du droit à l’hébergement d’urgence des personnes visées par une obligation de quitter le territoire français (OQTF), le durcissement des conditions d’accès à la nationalité, le durcissement des conditions du regroupement familial, le rétablissement du délit de séjour irrégulier…

37 articles sur 86 ont été censurés partiellement ou totalement.



27 janvier 2024

Emmanuel Macron promulgue la loi immigration (sans les articles retoqués par le Conseil Constitutionnel)




Pourquoi la stratégie du Gouvernement et de Renaissance est–elle contestable ? 

S’il est légitime pour un gouvernement de vouloir légiférer sur l’immigration (même s’il s’agit de la 29ème loi depuis 1980), plusieurs faits démontrent que la majorité a plutôt cherché l’élargissement aux LR que d’avoir un débat serein et des mesures utiles.

– Il était possible d’avoir des lois séparées, selon des sujets finalement différents (ex : un projet de loi sur la régularisation par le travail qui aurait eu le soutien des parlementaires de Gauche). Au lieu de cela, Gérald DARMANIN a imposé un projet « fourre-tout » qui empêchait de fait un débat clair et apaisé.

– En choisissant la « procédure accélérée », soit d’abord par le Sénat sans aller-retour, il était certain que la Droite (majoritaire au sénat) allait durcir fortement le texte initial et imposer sa vision au débat (rappel de la procédure classique : 1ere lecture à l’Assemblée Nationale – étude du texte au Sénat – si le Sénat le modifie, retour à l’Assemblée).

– En acceptant toutes les exigences LR, tout en sachant qu’elles seraient déclarées anticonstitutionnelles, le gouvernement n’a pas assumé sa responsabilité consistant à garantir qu’une loi présentée ne soit pas contraire à la Constitution, faisant porter cette responsabilité a posteriori sur le Conseil Constitutionnel.

Objectif du gouvernement : élargir la majorité Présidentielle aux LR.

Prix à payer : intégrer la vision LR de l’immigration, proche de celle du RN.

Moyen pour s’en sortir : ne pas assumer sa responsabilité juridique pour se défausser sur le Conseil Constitutionnel.



La décision du Conseil Constitutionnel est-elle un acte politique ? 

Le RN et les LR (Éric CIOTTI, Olivier MARLEIX, Laurent WAUQUIEZ…) dénoncent le «Parlement des juges». Or, comme l’a déclaré Laurent FABIUS, le « Conseil Constitutionnel n’est pas une chambre d’écho des tendances de l’opinion, ni une chambre d’appel des choix du Parlement ».

Il a repris la jurisprudence (c’est-à-dire l’ensemble des arrêtés et jugements qu’ont rendus les Cours et Tribunaux), ce qui a amené à censurer les « cavaliers législatifs » (c’est-à-dire toutes les mesures sans lien direct ou indirect avec le texte initial).

Ainsi, les mesures retoquées pourraient tout à fait faire l’objet d’une proposition de loi spécifique, qui serait alors validées comme l’a suggéré le Président du Groupe Centriste au Sénat, Hervé MARSEILLE.

Remettre en cause la légitimité des institutions de la République quand un avis ne plaît pas reste une pratique préoccupante dans la mesure où elle donne du crédit aux pires thèses extrêmistes et anti-républicaines.



En quoi les mesures introduites par les LR posent-elles problèmes ? 

Parce qu’elles institutionnalisent une discrimination entre nationaux et étrangers tout en empêchant l’intégration.

L’idée est de durcir les conditions d’accès à plusieurs droits pour les étrangers, non-ressortissants de la communauté Européenne, en situation régulière. Un étranger devrait alors résider en France depuis au moins 5 ans, ou être en activité professionnelle depuis 2 ans ½ pour pouvoir bénéficier des prestations sociales (allocations familiales, prestations jeunes enfants, allocations de rentrée scolaire, complément familial, APA…). Ainsi pendant 2 ans ½, un travailleur contribuerait à la solidarité nationale, via les cotisations sociales, sans pouvoir en bénéficier.

Quel est l’intérêt de maintenir sur une longue durée, des familles en situation régulière dans la précarité ? C’est même contraire à une intégration réussie ; c’est comme si les immigrés polonais travaillant dans les mines avaient dû attendre plusieurs années pour accéder à un logement et à la santé.

Nos prestations sociales créent-elles un « appel d’air » attirant une immigration massive ? Aucune étude ne démontre cela et on peut se demander alors pourquoi les migrants veulent absolument aller en Angleterre au péril de leur vie plutôt que de bénéficier à terme de nos aides ! 

La suppression de l’Aide Médicale d’État, même au profit d’un dispositif plus restrictif, poserait un problème de santé publique comme l’ont rappelé 3000 soignants, dans un appel. 

L’AME permet aux personnes étrangères en situation administrative irrégulière aux ressources inférieures à 810€ par mois et en résidence stable, d’avoir accès aux soins. Ce qui exclut un « tourisme médical au frais du contribuable ». Elle permet notamment de prendre en charge des maladies chroniques contagieuses et les problèmes psychologiques. 

En cas de suppression, ces maladies ne seraient plus prises en charge et se développeraient forcément. En cas d’accès restreint, les personnes sans papier viendraient engorger encore plus les urgences hospitalières et les Permanences d’Accès aux Soins de Santé (PASS) ; Des Hôpitaux où d’ailleurs 25% des médecins sont aujourd’hui des « praticiens à diplôme hors UE ».



Le Département aurait-il pu alors adopter une procédure particulière pour les étrangers ?

Dans un appel, le Groupe de Gauche de l’Assemblée des Départements de France a appelé ses Présidents à refuser cette loi et à mettre en place une procédure parallèle de prise en charge. Pour le Pas-de-Calais, Jean-Claude LEROY s’est déclaré « solidaire mais pas signataire ». Solidaire étant donné le caractère indigne de cette proposition de loi visant à institutionnaliser un tri entre les citoyens.

Pas signataire parce qu’une collectivité territoriale se doit d’appliquer la loi, par principe Républicain. Par ailleurs, il y aurait une contradiction à dénoncer l’étranglement de nos finances et la non-compensation juste des décisions prises par l’Etat tout en créant une « allocation départementale » totalement assumée financièrement par le Département.



Le RSA n’est-il pas déjà une prestation sociale pour laquelle la « préférence nationale » est appliquée ?

L’accès aux prestations sociales en France a progressivement évolué pour devenir universel. C’est un héritage direct de la Sécurité Sociale du Conseil National de la Résistance, entré dans la loi de 1975 (sous J. Chirac, 1er ministre de V. Giscard d’Estaing). Elle supprime tout cadre d’une activité professionnelle pour l’ouverture du droit aux prestations familiales qui ne sont plus soumises à cotisations mais à résidence. L’objectif est d’aider ceux qui sont le plus dans le besoin (français comme étrangers en situation régulière).

Pour le Conseil Constitutionnel, le RSA n’est pas une prestation sociale mais une incitation à l’exercice ou à la reprise d’une activité professionnelle. Ainsi la Nation encourage les étrangers arrivant sur notre sol à trouver leur place dans la société par leur travail et à ne pas dépendre dès leur arrivée et pour une longue période de revenus minimums financés par la solidarité nationale.

L’accès au RSA pour les étrangers en situation régulière est conditionné à une présence de 5 ans sur le sol français. Il n’y a donc pas de « préférence nationale » puisque les conditions d’accès aux prestations sociales sont les mêmes pour tous et que pour accéder à un revenu spécifique les citoyens français ont eux aussi forcément plus de 5 ans de résidence (y compris en cas de naturalisation).



Cette séquence est-elle une victoire idéologique du RN ?

Deux notions utilisées et revendiquées par les LR, et intégrées au projet de loi Renaissance, viennent clairement des thèses défendues depuis toujours par le RN.

La « préférence nationale », théorisée par l’essayiste identitaire Jean-Yves LE GALLOU en 1985, consistant à instaurer une différence de droits entre les français et les étrangers en situation régulière.

La remise en cause de l’obtention de la nationalité française au nom du droit du sol, qui ne devient plus automatique à la majorité. (Retour à la loi « Pasqua » de 1993 supprimée par Lionel JOSPIN)

Cela reste certes en deçà du programme RN (suppression du droit du sol, préférence nationale à l’emploi et au logement, quasi suppression du regroupement familial…) mais reprendre ces idées là c’est les faire progresser dans l’opinion publique.



Un référendum sur l’immigration peut-il être une issue démocratique ?

Les LR et le RN appellent désormais à « un référendum sur la politique migratoire ? » mais sur quelles questions ? « la France doit-elle s’affranchir des règles européennes en matière d’immigration ? » (proposé par les LR), « Faut-il interdire l’immigration ? », « Faut-il régulariser la situation administrative des personnes sans papier ? »… Les réponses sont connues d’avance !

C’est la stratégie systématiquement adoptée en Hongrie par l’illibéral Viktor Orban ; Sa question « Faut-il refuser d’accueillir le moindre immigré ayant trouvé refuge en Europe ? » a été par exemple approuvée à 98% ! Si le recours au référendum, et notamment à un Référendum d’Initiative Partagée plus accessible est une des solutions pour redynamiser la démocratie, il peut aussi hystériser le pays et ainsi entrer dans la stratégie de conquête des plus extrêmes.

Il est facile pour les démagogues de tromper l’électeur partiellement informé sur les conséquences de son vote. De plus, sur des sujets aussi brulants, les effets sont désastreux sur l’opinion publique aux avis forcément tranchés.



Y-a-t-il une proposition alternative à Gauche ? 

Rien ne serait pire pour la gauche que de se limiter à une critique de principe. Si la question migratoire est anxiogène c’est avant tout parce qu’elle donne l’impression de ne pas être régulée. Il est donc important d’avoir une politique claire, organisée, applicable et appliquée ; « donner de l’efficacité où il y a de l’impuissance et de l’humanité là où il y a du désarroi » :

Renforcer la politique migratoire de l’Union Européenne avec le développement d’un filtrage aux frontières de l’Europe, une procédure accélérée d’études des demandeurs d’asile et une harmonisation des règles d’accueil des migrants.

A cet égard, le nouveau Pacte Migratoire Européen adopté en décembre dernier va dans ce sens. Les Eurodéputés RN ont voté contre contrairement à la Présidente italienne Gorgia Meloni.

Renégocier avec les autorités britanniques pour que soient revus « les accords du Touquet » fixant la frontière anglaise sur nos côtes (refus catégorique de Gérald DARMANIN) et leur politique migratoire. Un accord de 2022 entre Londres et Tirana a par exemple permis de réduire considérablement cette immigration ; les Albanais ont aujourd’hui quasiment disparu des embarcations.

Augmenter les moyens des Préfectures et des tribunaux administratifs totalement engorgés pour permettre des réponses plus rapides.

Revoir la politique d’Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF), rarement exécutés (moins de 20% sur le 10 dernières années, 6% sur la dernière période)

Augmenter les places en centre de rétention administrative et travailler plus intensément sur des accords avec les pays d’origine pour des retours dans la dignité.

Définir une véritable politique de régularisation par le travail. Des pans entiers de notre économie fonctionne sur une immigration irrégulière (restauration, nettoyage, aide à domicile…) ; la société a tout intérêt à clarifier la situation.

Définir une politique d’inclusion globale donnant les moyens de l’intégration. Ce qui pose la question de l’accueil, de l’accès au logement, aux soins, à la formation professionnelle, à l’emploi, l’enseignement de la langue et des valeurs de la République. Ainsi qu’une réflexion sur la répartition sur le territoire national, la scolarisation des enfants allophones et l’aide à la parentalité.



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